La défense, un levier stratégique pour l’économie française.

La Loi de programmation militaire (LPM) 2024-2030 est bien plus qu’un outil de planification budgétaire au profit de la modernisation des forces armées. Il s’agit également d’un projet économique, industriel et technologique destiné à renforcer les filières d’excellence, l’innovation, la vitalité des territoires et la souveraineté nationale. Explications.
Avec un budget de 413 milliards d’euros sur sept ans, la LPM 2024-2030 vise à bâtir l’avenir de nos armées dans un environnement stratégique de plus en plus menaçant. Mais cette loi est aussi un facteur de croissance pour la France, soutenant à la fois des entreprises à forte valeur ajoutée et créant de l’emploi industriel dans les territoires. La LPM s’appuie, en effet, sur des entreprises de défense souveraines, regroupées sous la dénomination de base industrielle et technologique de défense (BITD). Cette dernière représente déjà 200 000 emplois directs, non délocalisables, dans plus de 4 000 entreprises, des grands groupes aux petites et moyennes entreprises (PME) spécialisées. L’augmentation des investissements pourra notamment entraîner des milliers de recrutements supplémentaires, en particulier de techniciens et d’ingénieurs.
Emplois non délocalisables
La spécificité du secteur de la défense réside dans sa capillarité territoriale : ses activités sont réparties sur l’ensemble du territoire, y compris dans des zones rurales ou anciennement désindustrialisées, qui bénéficient peu de l’attractivité des métropoles. Par exemple, Thales, KNDS France ou Naval Group sont souvent les premiers employeurs privés dans des villes de taille moyenne comme Châtellerault, Bourges, Angoulême ou Cherbourg. Dans ces territoires, la présence d’un site de production ou d’un régiment constitue un poumon économique local, générant de l’activité pour les sous-traitants, le commerce, le logement, les transports et les services.
À titre d’exemple, la construction du futur porte-avions de nouvelle génération mobilisera des dizaines de milliers d’emplois, principalement à Saint-Nazaire, Cherbourg et Toulon, et assurera un demi-siècle d’activité industrielle. Dans le Var, la réactivation du site de La Londe-les- Maures pour participer à ce programme a permis de créer 500 emplois directs. De même, la région Bretagne, historiquement liée au secteur naval, s’est imposée comme un pôle stratégique avec plus de 1 000 entreprises travaillant pour la défense. Au-delà de la BITD, la LPM prévoit le renforcement des infrastructures de défense pour améliorer les conditions de vie et de travail des plus de 265 000 personnels du ministère des Armées et de leurs familles. Ce chantier s’intègre également dans une démarche de revalorisation des territoires. La LPM agit ainsi comme un levier de réindustrialisation et de revitalisation locale, en réduisant les inégalités territoriales. Elle permet de fixer les populations, notamment les jeunes, en leur offrant des emplois qualifiés, stables et porteurs de sens, dans des secteurs à haute valeur ajoutée. En renforçant ces écosystèmes industriels locaux, la politique de défense joue un rôle de cohésion sociale et territoriale.
Dualité technologique
Les programmes de la LPM misent sur les technologies de rupture – cyberdéfense, intelligence artificielle, spatial, nucléaire – avec des effets d’entraînement puissants sur la recherche et développement (R&D) civile. Environ 10 % du budget total de la LPM, soit plus de 40 milliards d’euros, seront consacrés à la recherche, développement et innovation (RDI) dans la défense sur la période 2024-2030. Cette augmentation aura un impact positif sur le secteur civil. En France, on estime qu’une hausse de 10 % de la R&D de défense induit une augmentation de 4 % de la R&D civile, selon les travaux de l’Insee et de la DGA, prouvant une complémentarité plutôt qu’une concurrence entre investissements publics militaires et civils. Les transferts technologiques sont nombreux : les processeurs numériques du satellite militaire Syracuse sont aujourd’hui utilisés dans les télécommunications civiles. À l’inverse, des technologies civiles, comme le cloud computing1 ou les drones du commerce, sont désormais intégrées dans les systèmes militaires. Cette porosité croissante permet d’accélérer les cycles d’innovation tout en amortissant les coûts de développement, créant un effet levier sur l’ensemble de l’économie.
Levier de croissance
L’investissement militaire agit comme un véritable multiplicateur économique. Selon les estimations du ministère des Armées et de l’Institut de l’économie industrielle, chaque euro investi dans la défense génère entre 1,27 euros et 1,68 euros de richesse dans l’économie nationale, en fonction de l’horizon temporel considéré. Ce multiplicateur élevé s’explique par la structure même des dépenses militaires, qui se concentrent sur la production industrielle nationale à forte valeur ajoutée technologique, et mobilisent un large écosystème de sous-traitants, d’ingénieurs, de techniciens et de services annexes.
Ces investissements contribuent directement à la croissance du produit intérieur brut (PIB) en stimulant la demande domestique : usines modernisées, chaînes de production relancées, recrutements, commandes de matières premières et de composants technologiques. À moyen et long terme, les effets se prolongent par l’amélioration de la productivité globale de l’économie, en raison des retombées technologiques, de la diffusion d’innovations vers le secteur civil et du maintien de compétences de pointe sur le territoire. Sur le plan budgétaire, les dépenses de la défense ont également un effet de retour fiscal significatif. En générant de l’activité, elles alimentent la taxe sur la valeur ajoutée (TVA), les impôts sur les sociétés, les cotisations sociales et l’impôt sur le revenu des salariés concernés. Contrairement à certaines dépenses publiques purement de fonctionnement, une grande partie des crédits de la LPM constitue de l’investissement productif, créant des actifs industriels durables et de la valeur ajoutée localisée en France.
Des entreprises exportatrices
À l’échelle internationale, la LPM renforce également la position exportatrice de la France. Grâce à sa BITD performante, la France est le deuxième exportateur mondial d’armements, derrière les États-Unis. Ces exportations contribuent à l’amélioration de la balance commerciale et à l’influence stratégique du pays. Enfin, la visibilité pluriannuelle garantie par la LPM est un facteur de stabilité macroéconomique. Elle permet aux industriels de planifier leurs investissements (machines, usines, R&D) sur plusieurs années, sans redouter de brusques ruptures de commandes. Cette stabilité attire aussi des financements privés vers le secteur défense, via des fonds d’investissement, des banques ou des assurances, désormais incités à accompagner le développement de la BITD dans le cadre du chantier de financement de l’effort de défense. Des outils spécifiques comme des labels favorables, des garanties publiques ou des fonds dédiés permettent de lever les obstacles liés aux normes ESG2 ou aux réticences éthiques envers l’industrie de l’armement.
Une réindustrialisation stratégique
La LPM 2024–2030 constitue aussi un outil majeur de reconquête de souveraineté pour la France, tant sur le plan technologique qu’industriel. Dans un contexte marqué par des tensions géopolitiques, des pénuries globales et une remise en question des chaînes de valeur mondialisées, la LPM affirme clairement une priorité : produire sur le territoire national pour garantir l’autonomie de la France. Depuis 2022, 12 projets de relocalisation industrielle ont été lancés, dans des secteurs aussi sensibles que la poudre propulsive, les composants électroniques, les optiques de précision ou la maintenance navale. L’objectif est de reconstituer des chaînes de production souveraines capables de répondre aux besoins en période de crise ou de guerre. Chaque achat réalisé en France permet de préserver les compétences nationales, de maintenir des emplois qualifiés, de créer de la valeur ajoutée locale, et de renforcer le tissu industriel dans des régions parfois délaissées. Au-delà de la souveraineté nationale, la LPM s’inscrit aussi dans une vision de souveraineté collective européenne. La France défend une préférence industrielle continentale, incitant ses partenaires européens à investir dans des projets communs plutôt que d’acheter « sur étagère » du matériel américain. La LPM 2024–2030 dépasse donc largement le cadre d’un simple instrument de planification budgétaire. Elle s’impose comme un levier majeur de transformation économique, industrielle et stratégique pour la France. Par l’ampleur de son effort financier, par la structuration qu’elle apporte à la base industrielle et technologique de défense, et par les perspectives d’emploi, de relocalisation et d’innovation qu’elle ouvre, la LPM est un pilier central de la souveraineté nationale. Ainsi, la réussite de la LPM repose sur une triple condition : une mobilisation continue de l’ensemble des acteurs nationaux (État, armées, industriels), une stratégie d’investissement ambitieuse et pérenne, et une coordination européenne renforcée. Si toutes ces conditions sont réunies, la LPM 2024–2030 pourra pleinement remplir ses missions : être à la fois un outil de puissance, un moteur de souveraineté et un accélérateur du redressement économique et stratégique de la France.
Par Alexis Monchovet et Laura Garrigou